JeanMichelHUSSON
Pierre Van Tieghem / Jean Michel Husson
Parce que ses photographies ont la calme assurance d’une parole mesurée, habitées d’une lumière patiemment espérée, régies par une composition rigoureuse et stable, abouties par la force d’une idée, nous perçons en Jean-Michel Husson un esprit réfléchi, fin et cultivé, un œil intelligent.
Égrener le chapelet des domaines artistiques qu’il a investi depuis l’école des Beaux-arts ne dira pas combien pour lui la photographie est un champ intrinsèque. Il n’est pas de « medium » photographique. Pas au sens d’un outil auquel on recourt pour traduire matériellement une idée. Spéculation, image finale, moyens, intention, forme… sont, pêle-mêle ou plutôt fondus ensemble, inhérents au processus photographique, autodéterminants/minés. Aussi paradoxal que cela puisse paraître quand un cliché peut être brandi comme preuve, la photographie – l’art - ne fait pas œuvre de mimésis, et tant pis pour Platon s’il n’avait pas prédit Niepce. Husson agit dans sa création en totale intelligence avec le processus photographique, dans son analyse il est plus proche d’un Van Lier1 que d’un Barthes2.
L’étonnant travail présenté dans l’exposition Comma (1995) éclaire le propos. Husson procède alors à une double prise de vue, l’une faite à la chambre, l’autre avec un Minox. Le papier reçoit l’exposition des deux négatifs. La fusion de l’excellence (le plan-film de la chambre) avec le médiocre (le petit négatif du Minox) crée des flous, perturbe la profondeur de champ, confère à l’image pourtant très construite une émouvante fragilité où le temps semble matérialisé, tient le spectateur à distance alors que les objets représentés semblent à portée de main. Un jeu d’ambigüité désarmant qui autorise nombre d’interprétations, jusqu’à la métaphore politique, si l’on osait.
Entre les lignes qui précèdent on aura saisi que Jean-Michel Husson n’échafaude pas de froides postures. Si le recul intellectuel lui permet de cerner consciemment son acte photographique3, il ne l’envisage pas autrement qu’une aire où se déploie le sensible, où s’épanouit sa relation au monde, où s’échappe sa tourmente peut-être (die Einfühlung), mais avec retenue. Ainsi les concepts s’apparentent-ils parfois à des voiles de pudeur.
De cette jouissance intellectuelle indissociée de l’expression, découle un ensemble d’invariants qui alimentent son travail pour L’image en dialogues. Car s’il concède avoir au fil des ans changé quant à la forme, son œil est resté le même. Entendons encore par là que la nécessité photographique lui est toujours aussi vitale. La résidence, comme toute commande à honorer, toute exposition qui se profile, insuffle un élan bienvenu pour poursuivre sa voie, sans en infléchir la direction, permet l’affirmation de ses choix pour mieux les affiner.
L’évolution formelle amorcée ces dernières années tient de l’inclination ténue vers une image devenue plus nette, au grain plus fin, à la légère coloration, délicates variations peut-être imputables au glissement dans le numérique. Sans rien lâcher des fondamentaux (frontalité, orthogonalité), sans surenchère technique non plus, les images finales de la résidence reflètent cette douce mutation.
Comme à son habitude préférant l’élégance à la grandiloquence, Jean-Michel Husson dévoile de sereins fragments du monde, pétris de silence, soumettant sa vision méditative à la règle latente d’un repère orthonormé - frêle certitude de la stabilité de l’univers –, une vision où la netteté des rochers immuables accuse le flou de la présence humaine fugace.
Un vaste constat du temps qui fuit, un ample studium qui rend possible, en façon de punctum, le surgissement auquel on tend de toute son âme, d’une aventure4.
Advenit que pourra !
1. Henri Van Lier, Philosophie de la photographie, ACCP 1983.
2. Roland Barthes, La chambre claire, éd. de l’Étoile, Gallimard, Le Seuil, 1980.
3. Denis Roche, La disparition des lucioles (réflexions sur l’acte photographique), éd. de l’Étoile, 1982.
4. Latin advenere. Dans ce ad (vers) tient toute la force du mot.
COMMA 1995
… »Si la lecture des images projette immédiatement dans l’univers de la pensée où le cadre photographique énonce les principes simples de la construction et du temps, chacune des images révèle une organisation de la surface, propose un cheminement narratif, plonge le spectateur dans une atemporalité où le syncrétisme des références aide à décliner le parti pris esthétique duquel procède la photographie de Jean Michel Husson – photographie courageuse, fidèle et précieuse dont l’intention, toujours, attise les impressions de douceur et de délicatesse »…
…» La prise de conscience de l’étendue accrue des possibilités qu’a la photographie d’instaurer une cohésion entre différentes réalités, intérieures et extérieures, d’aller au-delà, constitue la réalité de l’œuvre…En cela, Jean Michel Husson, (…) se rapproche des photographes et des auteurs qui privilégient davantage l’image plutôt que le médium lui-même »…
S. Thérol, entretiens
"Le silence de la Photographie, la brûlure de l'Image"
Le Paysage - L'indicernable Page 121- 125
Alain Mons Professeur Université de BordeauxIII" Médiation et information"n°9 1998
"CHANTS DE LA TERRE" Museo Stibbert Firenze 2012
SG -« Chants de la Terre » Pourquoi ce titre ?
JMH-« Chants de la Terre » est initialement le titre d'une commande de l'association Surface Sensible auprès de 6 photographes et un écrivain choisis dans le Grand Est de la France.
Cinq photos de chacun tirées sur bâche plastique en format 100 cm par 150 cm ont été exposées en extérieur dans divers parcs de châteaux ou de musées de la région de 2011 et le seront jusqu'en 2013.
De là sont nées 4 séries de 5 images qui sont des suites avec un début et une fin. Trois de ces séries sont présentées ici.
SG- Pourquoi avoir choisi de photographier le parc du Musée Stibbert ?
JMH- Qui dit chants dit pour moi harmonie et pas seulement l'harmonie chromatique des verts .Cela sous-entend surtout pour moi une nature pensée, composée, organisée par l'homme. Je suis venu régulièrement ici depuis 1996, et le magnifique parc romantique du Musée Stibbert s'est imposé à moi comme une évidence.
SG-La musique de Mahler sur le poème de Rückert ont ils été une source d'inspiration ?
JMH- Beaucoup moins que vingt ans plus tôt quand je faisais encore de la peinture, Les Kindertotenlieder des mêmes auteurs....
Mais qui sait si cela m'a ou non suggéré ces paysages, ces décors qui restent quand les humains s'en absentent ou apparaissent doublés, comme des ombres ou des échos.
Que le détail sur lequel l'attention se porte soit un arbre, un être humain ou un caillou, ce qui m'intéresse est le décalage entre ce qui passe et ce qui reste.
Comme presque toujours, depuis trente ans, mon travail est une réflexion sur le temps.
SG- Il semble en tout cas que cette façon de photographier soit aux antipodes de l'instantané ou de la photo reportage.
JMH- En effet, mes temps de pose sont lents et malgré les prises de vues en numérique, le travail informatique s'apparente à celui du laboratoire...
Les photos 6O x 6O cm de Florence et du musée Stibbert ont été prises en argentique et retravaillées en numérique. Les tirages Epson sur papier baryté ont une chaleur et un grain d'une finesse comparables avec le papier argentique.
Les photographies des « chants de la terre » ont été prises en numérique et tirées sur le même papier.
Pour celles-ci j'ai travaillé avec deux mises au point successivement : une très nette de près et de loin, l'autre nette à une seule profondeur de champ et j'ai superposé les deux images.
Le vent ce jour-là a ajouté des flous imprévus et bienvenus....
Bien sûr, le but n'est pas de superposer pour superposer mais de retrouver une vision subjective comme le regard qui privilégie naturellement certaines parties d'une image et passe du détail au général.
SG -Est-ce une nouvelle étape ?
JMH- Oui et non, j'avais déjà utilisé des images doubles mais avec des appareils et des formats différents ou d'autres procédés pour doubler et altérer des images, toujours avec cette obsession de l’usure du temps (Paysages européens), des rythmes (Comma et Intérieurs/extérieurs), et du souvenir lié au temps (Souvenir, province de la pensée)
SG- La photo serait donc une façon d'arrêter le temps ?
JMH- Pas l'arrêter, pas le retenir, ce serait plutôt le contenir, contenir
Le temps comme de l'eau dans ses mains.....
Florence, Mai 2012 Entretien Sophie Guinzbourg
Jean-michel Husson, Photographe par Peter Read 1989
Tout artiste est maître d'un territoire frontalier, situé entre cœur et raison, réel et imaginaire. De son côté en Lorraine et en photographie Jean-Michel Husson provoque des rapports entre passé et présent, surface et sujet, afin de créer une certaine atmosphère, couleur du temps, associée aux paysages d'une région fortement marquée par les blessures de l'histoire et de l'activité industrielle.
Poutres d'acier, hangars squelettiques, marches en pierre, chemin de fer et de terre imposent une structure à l'image, tout comme ces arbres alignés par une immense machine à coudre. Mais aucun pas ne résonne sur le pont géométrique. Le décor reste en place, les acteurs ont quitté ce pays immobile, recueilli, silencieux. Tout à la fragilité des marguerites qui bordent la route. La seule continuité véritable est celle des innombrables épis de blé, exemple naturel d'une énergie indifférente et intarissable.
Pourtant ce photographe ne propose aucune morale, et n'entre pas, non plus, dans le domaine du reportage. Ses préoccupations principales sont purement esthétiques. Ceci n'est pas un champ de blé. C'est une beauté autonome, enchanteresse, à mille facettes. Les jeux de la clarté et de l'ombre rappellent l'impressionnisme crépusculaire de Charles Auguste Sellier, grand peintre Nancéien du XIX siècle. Certain portraits et nus féminins réalisés par Jean-Michel Husson font penser également aux dessins de Seurat, à la mine de plomb et au charbon de bois, prisés par André Breton pour leur charge onirique.
D'autre part, la photographie et la gravure se rencontrent dans la chambre noire où Jean-Michel Husson reprend le négatif afin d'y appliquer les traces multiples d'un léger frottage. Il s'agit d'une usure délicate, sous laquelle l'image d'un paysage actuel se transforme déjà en souvenir, province de la pensée. Sur la lumière pâle et très matinale de l'image s'imposent les traits de gravure, écran léger, aléatoire, qui crée une distance et dématérialise le sujet. C'est le souvenir d'un rêve qui s'éloigne.
Toutes les approches sont autorisées. Nous savons que tout paysage n'est autre qu'un état d'esprit. Les chemins qui, dans ces photographies, traversent le silence et la solitude, facilitent le passage entre un espace extérieur et la recherche d'une identité profonde et personnelle. Ces œuvres sont le fruit de cette recherche. Elles donnent aussi la preuve irréfutable que cet artiste possède les moyens de faire coïncider l'ordre esthétique et l'émotion contagieuse.
Peter Read